Temporary Land

أرض مؤقتة

Des plaines aux cimes, impressions pastorales : un refuge dans l’exil.

Loin d’ici, c’est un nouvel exil qui nous est donné à voir. Conjuguant le mythe ancestral du pastoralisme avec la brutalité des enjeux politiques contemporains, la situation de ces berger·ères syrien·nes au Liban ranime le feu primal d’une douleur provoquée par un départ entamé sans le vouloir. Spectateur·ices lointain·es, notre regard se superpose au regard photographique. Si ce dernier doit s’interdire d’être fuyant pour capturer la réalité de face, le nôtre s’échappe, à la faveur des différentes focales et formats qui se succèdent. Les vues panoramiques se resserrent en plans serrés, pour osciller de l’universel à l’intime, jusqu’à buter sur les yeux des personnages émergeant des paysages. Humain·es et bêtes esquivent l’objectif, lui qui file se repaitre des lignes structurant ces espaces entre parenthèses, définissant une vie suspendue dans l’attente. Tandis que les personnages et les signes se dupliquent, les véhicules sont arrêtés. Seuls les animaux semblent investir les lieux et habitent de leur présence les horizons désertiques, comme les frêles structures qui tiennent lieu d’habitation.

Remarquablement composées, les photos de Thibault Lefébure n’invitent jamais à la nostalgie mais à un saut dans le vide, questionnant le futur indéterminé de ces familles de berger·ères. La force des images est transcendée par ces icônes à la grâce mythique, qui consacrent une réalité foudroyante avec des instants de vie convoquant un paradis perdu. Dans ces énigmes posées, c’est le hors-champ de ces clichés poétiques qui limite, et le contexte contemporain qui nous renvoie vers la réalité brutale. Si le pays perdu est singulier pour chaque exilé·e, la terre qu’il parcourt est universelle, tel un paysage mouvant où se fixer serait impossible. Un exil dans le lieu même de l’absence de lieu, point de passage d’une errance, qui disparait dans le flux des berger·ères en marche, et rappelle la condition même du pastoralisme. Comme une évidence, la présence de l’animal assoit la simplicité de l’essentiel et rappelle le socle de nos religions communes. L’image presque transparente d’une chèvre bêlante est la seule qui pousse un cri, perdu dans le flou, suggérant les existences sacrifiées. Rédempteur, le parcours naturel des moutons par des chemins poussiéreux se confond enfin dans un nuage entre la terre et le ciel, le cotonneux des toisons interrogeant l’impossible ancrage sur une terre qui se dérobe sous leurs pieds.

Pascale Cholette

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